Précocité de la vigne et gel : le mauvais mariage
Une difficulté en appellerait-elle une autre ? Coup dur pour les vignerons : ils doivent faire face à une vague de gel fin mars, en plus des difficultés liées au coronavirus. Depuis plusieurs années, ils sont confrontés à des variations du climat, auxquelles il faut s’adapter. 2020 n’échappe pas à la règle. Une fin d’hiver particulièrement douce amène la vigne à se développer précocement et la vague de froid fin mars met les producteurs sur le qui-vive.
Dans le Var et le Gard : « Ce n’est pas dans notre histoire viticole ! »
Fin mars, le sud de la France est soumis à des températures très basses. Dans le Gard, les secteurs de Pujaut, Rochefort, Saze et Tavel sont les plus impactés. « La vigne au stade bourgeon dans le coton à pointe verte, a été touchée, de 30, 80 à 100 % à certains endroits, par des températures de -3, -4 °C. Ce sont des zones fraîches et il n’y a pas eu de vent, estime Cyril Cassarini, conseiller viticole à la chambre d’agriculture du Gard. Les Costières et les vignobles des Sables ont été épargnés. Mais nous estimons déjà 15 à 30 % de pertes sur le vignoble du département. » Pour le conseiller, l’équipement contre le gel est trop onéreux pour les vignerons dont le revenu à l’hectare n’est pas suffisant sur ces appellations. « Pour les prochaines vagues de froid pouvant arriver, nous rappelons qu’il est préférable d’avoir fauché son enherbement et d’éviter le travail du sol avant l’arrivée du froid. »
Nicolas Richarme, dans le Gard
« Mercredi 25 mars à 6 h du matin, nous avons observé un pic à -2 °C et jusqu’à -5 °C dans certaines plaines, indique Nicolas Richarme, vigneron à Sabran dans le Gard. Dès 10 h, nous voyions les pousses devenir marron. » Sur ces domaines, le vigneron estime que 10 à 15 % des bourgeons étaient déjà sortis, ou en train. « Nous aurons de la perte, c’est certain, mais nous ne savons pas encore combien. Il faut attendre une quinzaine de jours pour évaluer ce qui repart ou non. » Non équipé, le vigneron n’a pas mis en œuvre de système de protection. « Nous ne sommes pas habitués à cela, et surtout à ce que la vigne soit à ce stade à cette période. » Nicolas Richarme se dit attentiste, et croise les doigts pour qu’une nouvelle vague de froid ne fasse pas plus de dégâts. « Je n’envisage pas d’investir, surtout en sachant que nous risquons une perte financière si la récolte n’est pas complète. »
Bourgeon gelé dans le Var. (© CA 83)
Choc sur le grenache
Le Var subit aussi deux nuits avec des températures exceptionnelles. « Du 24 au 25 mars, on a mesuré jusqu’à -7 °C dans le secteur de Brignoles, annonce Garance Marcantoni, conseillère viticole à la chambre d’agriculture du Var. Et du 25 au 26 mars, jusqu’à -6 °C en centre Var, touchant également la zone littorale. » Une semaine à 10 jours d’avance est observée, notamment sur les cépages les plus précoces, comme le grenache. « Et c’est un cépage très fortement replanté dans le département pour la production de rosé. Il faut attendre une quinzaine de jours avant d’évaluer réellement les dégâts, mais nous pensons qu’ils peuvent être très conséquents. » Pour la conseillère, les vignerons déjà impactés par le gel en avril 2017 étaient mobilisés et des bottes de paille ont pu être brûlées. « Il y a aussi des prototypes d’hélice de brassage de l’air, mais ça en est encore qu’aux balbutiements. Le gel, ce n’est pas dans notre historique viticole. » Certains vignerons ayant taillé plus long pour des besoins de récolte supplémentaire pourront raccourcir leurs baguettes et faire repartir les bourgeons de la base. « Mais il s’agit d’une minorité. » Au printemps, si les rameaux sont trop nombreux, il est possible de les couper pour faciliter la taille de l’hiver prochain. En laissant en place tout ce qui démarre, c’est aussi plus de photosynthèse, de mise en réserve et de choix pour tailler l’année prochaine. « Donc intervenir n’est pas toujours forcément judicieux. »
Vigne gelée à Cogolin dans le Var. (© CA 83)
Pays de la Loire : vigilance accrue
Dans les Pays de la Loire, les vignerons étaient aussi prêts à agir et ont surveillé attentivement les données météo. « Nous avons été sur le fil du rasoir, les vignerons s’interrogeant sur la nécessité ou non d’allumer leurs bougies, pour ne pas les gaspiller, ou de mettre en route leur tour anti-gel, témoigne Nathalie Dallemagne de la Coordination agrobiologique des Pays de la Loire (Cab). Globalement, peu ont utilisé leurs moyens de protection et d’une façon générale, les dégâts sont rares. » Le vent, présent ces nuits-là, a aussi bien asséché le vignoble. Suite à la vague de gel de 2017, la Cab a rédigé un dossier pour aider les vignerons à faire face au gel (1), avant et après (voir encadré pour quelques préconisations).
Loïc Mahé, vigneron dans le Maine-et-Loire
Vigneron sur 4,5 ha à Savennières, Loïc Mahé connaît le gel en 2017, le frôle en 2018 et est à nouveau touché en 2019. « Le syndicat de l’appellation a investi alors dans une station météo et une dizaine de capteurs de gel, à disposer au sein des parcelles de l’appellation et dans les coins les plus gélifs. » Des températures négatives sont relevées dans la nuit du jeudi 26 au vendredi 27 mars, et encore plus froides dans celle de dimanche 29 à lundi 30. « Jusqu’à -2 °C en température humide. »
Pour plus de réactivité et d’échanges instantanés, Loïc Mahé crée un groupe avec l’application WhatsApp sur son smartphone. « Dans ce groupe, nous sommes environ 17 vignerons de l’appellation. Nous ne sommes pas isolés, nous recevons de l’information rapidement, plus précise. À chacun ensuite de décider s’il déclenche ou non ses systèmes de protection. » Des bougies ont déjà été allumées par certains collègues de Loïc Mahé. Ce dernier a le sentiment que pour l’instant ces vignes sont épargnées. « À confirmer dans les jours à venir. »
Pour sauvegarder du gel les bourgeons à la base des coursons, Loïc Mahé choisit de tailler en laissant quatre baguettes entières. (© Mahé L.)
Adapter les pratiques
En 2019, Loïc Mahé achète des bougies. Elles sauvent une partie de la récolte, le vigneron en est conscient. « Mais le procédé ne me convient pas. Au-delà du gros chantier que cela représente, je trouve qu’il y a un problème dans nos systèmes si nous devons nous mettre à acheter des bougies tous les ans. » Pour le viticulteur, si le climat doit changer de plus en plus, il est certainement plus judicieux de revoir ses pratiques culturales. « Pour cette raison, j’ai testé une nouvelle méthode de taille. Au lieu de laisser deux coursons et deux baguettes taillées, je laisse quatre grandes baguettes non taillées du tout. » Loïc Mahé part du principe que les bourgeons en haut des baguettes se développent en premier, inhibant ceux de la base. « Ainsi, si le gel brule les bourgeons en bord de baguette, ceux de la base peuvent repartir plus tard. » Le vigneron pense repasser dans les vignes pour retailler au plus tard mi-avril. « C’est un compromis à trouver, il ne faut pas non plus épuiser trop les ceps. Nous expérimentons, nous verrons bien si la méthode est pertinente. Je reste confiant. »
(1) téléchargeable sur biopaysdelaloire.fr
Frédérique Rose
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Après une forte attaque de gel…
Quelques préconisations basées sur la biodynamie
- Dès le matin du gel, pulvériser une préparation de valériane (préparation 507 de la biodynamie) à 5 ml/ha et teinture mère d’arnica (20 ml/ha).
- Même si cela est dur pour le vigneron, il faut mieux laisser la vigne se refaire et attendre.
- Dès 10 jours après le gel : tisane d’osier pour la circulation des flux et achillée millefeuille pour son action régénératrice globale. Une tisane d’ortie peut être rajoutée pour les vignes où le feuillage a survécu.
- Possibilité d’apporter des fleurs de Bach Rescue (5 gouttes par hectare) pour leur effet « apaisement, ressourcement, retour à la vie ».
- Dès la reprise de la végétation : tisane d'ortie (minéralisation sans azote) et d’osier (ou de saule – pour la circulation de la sève) et achillée millefeuille.
- Dès la repousse de la végétation bien visible : purin d’ortie et de consoude, complémentaires et riches en minéraux et lithotamne (à petite dose car il assèche).
- Accompagner attentivement la vigne tout au long de la saison, bien nourrir la plante si elle a vidé toutes ses ressources, refaire des purins de consoude régulièrement si nécessaire.
- En fin de saison, garder un feuillage vert le plus longtemps possible afin d’assurer les réserves pour l’année suivante.
Source : Dossier gel en viticulture en Val de Loire - Nathalie Dallemagne- Cab - mai 2019.