Gestion de l’herbe : des moutons à la rescousse

 

Très traditionnel par le passé dans certaines régions, le pâturage des moutons dans les vignes en hiver redevient d’actualité. En Pays de la Loire et dans le Var, des projets naissent au sein des chambres d’agriculture. Chacun avec leurs objectifs, méthodes et contraintes respectifs.

« Dans le Muscadet, nous n’avons aucun historique de pâturage des moutons dans les vignes, annonce Florent Banctel, animateur Dephy Ferme et référent viticulture biologique pour la Loire Atlantique à la chambre régionale d’agriculture des Pays de la Loire. L’élevage de brebis est d’ailleurs minoritaire dans le département. » Pourtant les recherches d’alternatives au désherbage sont une priorité pour les vignerons et l’idée du pâturage ovin fait son chemin dans la tête de certains viticulteurs.

Retarder le premier passage

« Il était indispensable pour nous que le vigneron ne devienne pas éleveur, précise le conseiller. C’est pourquoi nous nous sommes orientés vers un prestataire de service, travaillant déjà pour les collectivités, pour l’entretien des espaces verts. » Début 2019, se crée alors un partenariat pour tester la méthode, dans le vignoble du Muscadet, connu pour ses vignes étroites, avec un seul fil porteur et des sarments pouvant parfois traîner au sol. L’expérience se déroule au domaine Château-Thébaud, de 15 hectares, et en première année de conversion bio. « La parcelle, de 70 ares, est hétérogène : épaisseur du sol, exposition… Et on y trouve une grande diversité floristique. » L’objectif pour le vigneron est de décaler, voire de supprimer, le premier passage de tracteur relatif à l’entretien du sol. « Et ce, pour diluer la charge de travail d’entre mi-avril et fin mai. En outre, l’idée est de préserver la portance dans l’inter-rang pour effectuer au mieux les premiers traitements. » Florent Banctel se charge d’évaluer l’efficience de la technique et sa reproductibilité.

Quatre semaines entre les rangs

Huit brebis sont introduites sur la parcelle, soit une densité de 11 brebis par hectare. De race Ouessant, les animaux se faufilent facilement sous les fils porteurs, grâce à leur petite taille (45 cm au garrot), et ils sont facilement manipulables. « Au niveau de la logistique, il faut investir dans des filets mobiles, rapides à installer et une batterie pour mettre l’électricité. Il est nécessaire d’avoir un point d’eau, et si possible un abri. » La parcelle longeant un sentier de randonnée, des panneaux sont accrochés aux filets pour prévenir de l’électricité et expliquer que les brebis sont surveillées. Les moutons sont introduits le 22 février, en période de pousse active de l’herbe. « La parcelle n’était pas taillée par sécurité, afin que si les brebis consomment les bourgeons, elles le fassent sur les bois à couper. » Les animaux sont retirés le 21 mars. « À ce moment, la vigilance est de mise pour éviter de blesser les ceps et les jeunes bourgeons. Et il faut être flexible pour anticiper le ramassage des animaux si les bourgeons sortent plus tôt que prévu. »

Très traditionnel dans le Var jusqu’aux années 1960,
le pâturage des vignes par les brebis redevient d’actualité.

Différentes appétences

« Nous regardons l’évolution de la flore adventice tous les huit jours. L’impact est plus ou moins fort selon les espèces. » Sans être éradiquée, la pousse extérieure des graminées cespiteuses est calmée. Les brebis consomment surtout la tige de l’érigéron du Canada, en commençant par le cœur. « L’impact sur le lierre est notable. En un mois, la plante est sans feuille, et à la taille, on peut libérer le cep des tiges restantes. » La garance voyageuse, la mercuriale annuelle, et le genêt, eux, n’ont pas été très consommés. Tout comme le gaillet ou le rumex, légèrement mangés. En revanche les ronces ont été bien attaquées à certains endroits. Et pour le plantain, les brebis n’ont mangé que le cœur. « L’important est de trouver un équilibre : l’herbe doit être en quantité suffisante pour que les brebis aient assez à manger et ne souhaitent pas s’échapper. »

Des avantages

Malgré les préférences des brebis pour certaines espèces, la parcelle a globalement été bien pâturée et de façon homogène entre le rang et sur l’inter-rang. « Nous avons observé des graminées cespiteuses d’un mètre vingt dans des parcelles non pâturées, alors qu’elles étaient au ras du sol avec les brebis. » Le vigneron a pu décaler son premier travail du sol de 10-15 jours. Pour 2020, les expérimentateurs essaieront de passer des disques dans l’inter-rang à l’automne pour que les brebis se concentrent sur le cavaillon. « Ou nous essaierons deux pâtures, une après les vendanges et une en sortie d’hiver. » Faire évoluer la pratique sur de plus grandes surfaces et continuer d’évaluer sa rentabilité est aussi en prévision.

Projet Vitipasto dans le Var

« En Provence, le lien entre viticulture et pastoralisme a décliné à partir des années 1960 (voir encadré), introduit Garance Marcantoni, conseillère viticulture à la chambre d’agriculture du Var et référente viticulture bio de Paca et de l’APCA. Mais la tendance commence à s’inverser, doucement, en restant encore à la marge. Il faut recréer la confiance réciproque entre viticulteur et éleveur. » Les vignerons appréhendent notamment le tassement du sol. En 2016, la chambre d’agriculture du Var s’associe au Cerpam (1) pour déposer le projet de recherche et développement Vitipasto auprès de la région Paca et de l’agence de l’eau, afin d’obtenir son financement. « L’objectif est de mettre en évidence les atouts et la résilience des systèmes agro-pastoraux, voir les conséquences sur la vigne et sa production, et sur les troupeaux, recréer un dialogue constructif entre éleveurs et vignerons, et proposer des outils d’accompagnement de la démarche tout en répondant aux questions juridiques et réglementaires que cela pose », détaille Pascal Thavaud du Cerpam. L’enjeu pour l’élevage varois : 35 000 ha de vignes et d’oliviers, soit un potentiel de 7 millions de journées de pâturage pour des brebis, et donc l’alimentation d’au moins 40 000 brebis de novembre à mars.

S’appuyer sur l’existant

Les conseillers réalisent d’abord un inventaire des pratiques associant élevage et viticulture dans le Var, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône. « Nous avons identifié que 23 éleveurs font pâturer leurs troupeaux sur plus de 4 500 ha de vignes, majoritairement dans le Var, soit plus de 10 % du vignoble. Et parfois avec une expérience de plus de dix ans », déclare Pascal Thavaud. 15 % de ces vignes sont semées sur l’inter-rang et accueillent 43 % des éleveurs enquêtés. De même 34 % du vignoble recensé est en bio et reçoit 70 % des éleveurs. « Nous avons ensuite voulu comparer des parcelles de grenache de différents terroirs du Var – argilo-calcaire sur le Haut-Var et des grès permiens de la plaine des Maures –, en bio ou non, ayant été pâturés ou non », décrit Garance Marcantoni. Plusieurs critères sont mesurés : sur la vigne, la croissance, la vigueur, l’état sanitaire, la qualité du raisin ; et sur le sol, la fertilité et l’activité biologique, la structure, la biodiversité… « Un inventaire des espèces présentes dans l’enherbement naturel et semées est réalisé, et également un état de l’entomofaune. » Même si les années 2017 et 2018 ont été toutes deux atypiques, une différence ressort : « on observe beaucoup plus de diversité floristique et faunistique dans les systèmes pâturés. Les systèmes viti-pastoraux participent alors à l’augmentation de la biodiversité à la parcelle. »

Couverture partielle des besoins

« En moyenne sur trois ans, nous avons noté que 20 % des besoins annuels du troupeau sont couverts par les vignes, indique Pascal Thavaud. Et durant la période de pâturage des vignes, d’octobre à mars, 40 % de l’alimentation des brebis est assurée. » Cela implique, durant la présence des brebis dans les vignes, d’avoir à proximité d’autres ressources : friches, oliveraies enherbées, zones pare feu des DFCI, bois, haies, forêts… « Le système viti-pastoral ne fonctionne que grâce à cette complémentarité. Et les domaines varois sont souvent entourés de cette grande diversité. » D’autre part, le nombre de journées pâturées par hectare peut aller de 250 à 480 selon les terroirs. Cette différence s’explique aussi par le niveau de qualité et de quantité de la ressource fourragère présente sur les parcelles. « Sur des vignes pâturées depuis longtemps, nous avons observé une explosion de légumineuses. Mais n’oublions pas que l’eau d’automne fait l’herbe d’hiver », insiste Pascal Thavaud. Les assauts du climat méditerranéen ne sont donc pas toujours favorables à un couvert herbacé en quantité suffisante et peuvent remettre en cause l’équilibre du système.

Des avantages réciproques

Pour le viticulteur, le passage des brebis dans les vignes participe également au décalage du premier passage de travail du sol, « et ce, de façon parfois très significative », précise Garance Marcantoni. « De même en période de risque de gel, avoir un sol avec de l’herbe à ras est un avantage. » Le pâturage privilégie aussi un enherbement naturel permanent et favorise le travail du sol uniquement sur le rang. « Et bien sûr, la bonne communication entre l’éleveur et le viticulteur pour les adaptations de pratiques est un prérequis indispensable. »

Frédérique Rose

(1) Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée.