Extraits végétaux : gagner en efficacité contre le mildiou

Le projet Mildiouplantes, présenté au Sival en janvier 2018, présente des pistes intéressantes pour lutter contre les maladies grâce aux extraits végétaux. Yves Dietrich, vigneron en Alsace, utilise ces préparations depuis plusieurs années et réussit maintenant à limiter fortement les doses de cuivre.

 

Le projet Mildiouplantes (1), réalisé de 2014 à 2016, est conduit sur cinq sites (en Maine-et-Loire et Loire-Atlantique) et regroupe six parcelles et trois cépages (melon de bourgogne, chenin et cabernet franc). Trois à sept modalités sont mises en place sur les parcelles, dont au minimum les modalités suivantes : témoin non traité (TNT), le programme de traitement cuivre et soufre habituel du vigneron, et ce même programme de traitement associé à des extraits végétaux. « D’autres modalités ont été testées, avec des doses réduites de cuivre, ou des doses de plantes variables », explique Anne Duval-Chaboussou, ingénieur au CTIFL, anciennement chargée de mission viticulture biologique à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.

 

Les extraits végétaux sont de plus en plus utilisés en viticulture pour diminuer les doses de cuivre. (©Ecodyn))

 

Vérifier la qualité de l’eau

Les viticulteurs reçoivent les plantes en début de saison. Ils réalisent ensuite eux-mêmes les préparations, avec les conseils des techniciens pour les températures, les doses, les dilutions. « Nous nous assurons de la qualité de l’eau, de son pH – qui doit être entre 6 et 6,5 – de son potentiel d’oxydo-réduction – entre 50 et 250 mV –, détaille l’ingénieur. Ce sont les principaux facteurs de réussite d’un extrait végétal. Il faut être rigoureux. » Un programme de traitement type, issu d’une bibliographie approfondie sur les extraits végétaux, est proposé aux vignerons. En fonction du stade de la vigne, de la pression maladie, différentes tisanes ou décoctions sont conseillées : à base de prêle, d’ortie, de saule, d’achillée millefeuille, de camomille, de bourdaine ou pissenlit… « Avec au maximum 120 g de plantes sèches par hectare en proportion pour chaque passage. »

 

Attention à la dose

Parmi les résultats, des tendances se dessinent sur plusieurs sites et à chaque millésime : la modalité cuivre + extraits végétaux apporte entre 5 et 10 % d’efficacité supplémentaire. En revanche sur un site en 2014, année à forte pression, lorsque l’on double la dose de plante dans le protocole (tout à 250 g de plantes sèches à chaque traitement), on observe davantage de mildiou dans les parcelles, alors qu’avec une simple dose les résultats sont meilleurs que le cuivre seul. « Selon notre hypothèse, les plantes utilisées en quantités importantes ont un effet engrais foliaire qui nourrit le mildiou et stimule son développement. Nous avons déjà observé cela, en expérimentant des purins d’ortie et de consoude, explique Anne Duval-Chaboussou. Mais cet effet reste à confirmer. »

 

L’achillée millefeuille, une piste ?

Le projet teste aussi des modalités avec du cuivre à 300 g à chaque traitement quelle que soit la pression, comparée à une modalité de 150 g de cuivre seul, ou accompagné d’extraits végétaux : macération ou teinture mère de bourdaine, d’huile essentielle d’origan et d’orange douce, ou d’un programme de différentes tisanes et décoctions de plantes selon les traitements. « Avec les plantes, l’efficacité de la demi-dose de cuivre est améliorée, mais que de 10 %. Cela reste insatisfaisant. L’idéal serait d’atteindre au moins 20-30 %. » Pour approfondir ces résultats, en recherchant dans la littérature, les techniciens du projet ont souhaité tester l’extrait alcoolique d’achillée millefeuille sur un site en 2016. Les résultats sont parlants : 40 % d’efficacité supplémentaire est observée sur la modalité cuivre, soufre plus teinture mère d’achillée millefeuille, par rapport à la modalité cuivre, soufre seul. « Il faut approfondir. C’est le résultat d’un seul site, sur une seule année, mais il est prometteur, même si la teinture mère n’est pas encore homologuée », conclut Anne Duval Chaboussou.

Globalement concernant la qualité des baies, les analyses montrent que l’utilisation des plantes n’a pas impacté la maturité et la qualité technologique. Et l’émergence d’autres maladies n’est pas observée.

« Mais des difficultés liées au temps de réalisation des extraits végétaux ressortent. Cela freine certains vignerons. Nous souhaitons identifier des extraits qui se conservent dans le temps. » Ainsi, un projet mildiouplantes 2 est redéposé pour trois ans (jusqu’en 2020) auprès de la région Pays de la Loire. « Et nous voulons approfondir les résultats avec la teinture mère d’achillée millefeuille. »

 tisanière

Tisanière. Vérifier le pH et le potentiel redox de l’eau est un gage de réussite de l’extrait végétal. (© Chambre d'agriculture pays de la loire)

 

Utiliser les plantes des parcelles

Yves Dietrich est vigneron en biodynamie sur le domaine Achillée à Scherwiller dans le Bas-Rhin (2). Depuis 2000, il utilise les plantes pour diminuer les doses de cuivre. « Je me fixe une règle : n’utiliser que les plantes présentes ou avoisinantes de la parcelle, affirme-t-il. Je pense que lorsqu’un sol est bien conduit pendant un moment, les réponses naturelles y viennent, et ce sont celles-là qu’il faut expérimenter. »

 

L’ortie, une des plantes incontournables des extraits végétaux. (©JM Florin)

L’ortie, une des plantes incontournables des extraits végétaux.(©JM Florin)

L’ortie est présente à proximité de toutes les parcelles. Elle est récoltée par zones, en fonction des types de sols, juste avant la fleur. « C’est à cette période que l’ortie a le plus d’énergie. » Le vigneron réalise une préparation intermédiaire entre la tisane et le purin. « La tisane est contraignante, il faut la préparer juste avant le traitement et l’ortie fraîche n’est pas toujours disponible la veille de chaque intervention. Le purin se conserve mais il a un effet engrais foliaire que nous ne voulons pas. » Des bacs sont remplis d’ortie fraîche et recouverts d’eau, avec un poids pour éviter qu’elle remonte. « Dès que l’ortie commence à se désagréger – cela prend entre 8 et 15 jours selon la température extérieure –, je filtre pour ne pas que cela fermente. Si ça sent mauvais, c’est trop tard. Malgré tout, même à peine fermentée, la préparation agit aussi comme répulsif auprès des insectes. » Le vigneron l’utilise toute la saison, en la stockant dans des bidons remplis à ras, sans air, dans un bâtiment isolé maintenu à une température entre 5 °C et 20 °C. « Je peux même encore l’utiliser au début de la saison suivante. » Une dilution à 1 % de ce filtrat est utilisée dans chaque bouillie de traitement.

 

 

 

Yves Dietrich réalise une préparation à base d’ortie, intermédiaire entre la tisane et le purin. (©EARL Dietrich)

 

Traitement de prêle au sol

La semaine de Pâques, le sol se réveille et les champignons commencent à monter sur la vigne. Le vigneron effectue alors, seulement sur les parcelles à forte pression mildiou, un traitement de décoction de prêle au sol. La préparation est dynamisée, et utilisée à la faible dose d’un pourcent. Pour le vigneron, trois ans sont nécessaires avant de voir un effet de ce traitement. « Et en répétant chaque année, à force, les effets sont là et nous pouvons réduire les doses de cuivre. » Des traitements complémentaires de la décoction de prêle en foliaire, généralement dans l’encadrement fleur, peuvent être appliqués, mais uniquement sur les parcelles où la prêle est présente. « Et seulement lors des années humides. En année sèche, la silice contenue dans la prêle assécherait encore trop le milieu. » D’autres traitements à base de plantes se font à la parcelle au cas par cas, comme la valériane après un gel ou une grêle. « Mais même en utilisant beaucoup de plantes, j’ai toujours eu besoin du cuivre. J’ai maintenant accepté de ne pouvoir m’en passer, mais je peux l’utiliser à très faible dose », admet le viticulteur.

 

Test des huiles essentielles

À partir de 2013, Yves Dietrich participe au projet de recherche Pepsvi (3) avec l’Inra de Colmar (lire Biofil 111), sur 75 ares en AOP crémant Alsace. La moitié de la parcelle est traitée comme les autres, et sur l’autre partie, trois modalités sont testées : une demi-dose de cuivre et d’huile essentielle d’écorce d’orange douce (HE) ; une demi-dose de cuivre, HE et de l’extrait de pépin de pamplemousse (P) ; et une demi-dose de cuivre, HE, P et de l’émulsion de propolis. L’ortie était aussi associée à ces modalités. « Ce sont des doses très faibles. Entre 50 et 100 g par hectare et par an. Nous envoyons juste un signal. »

Les résultats des trois années sont très bons, pour chaque modalité. « Je n’ai pas eu de pertes de récolte à cause de la maladie. » Sur la parcelle d’essai, le protocole est suivi jusqu’en 2018. « Mais sur le reste du domaine, j’utilise aussi ce mélange, avec la propolis, qui adoucit le côté brûlant de l’huile essentielle. J’adapte la quantité en fonction des conditions météo de l’année. Lors des périodes chaudes, je m’en méfie. Et rien ne sert d’en mettre les années où la pression est faible. » Lors des essais Pepsvi, le vigneron n’a jamais dépassé un kilo de cuivre par hectare pour la saison. « Et dans les années à forte pression, comme celle de 2016, les doses n’excèdent pas deux kilos par hectare sur l’ensemble du domaine. En 2017, j’ai utilisé seulement 375 g/ha sur toute la saison ! » Mais Yves Dietrich reste lucide : « Ma technique n’est pas transposable directement dans tous les vignobles, où la pression mildiou est différente. Une adaptation en fréquence et en quantité serait nécessaire. »

 

Frédérique Rose

 

(1) Financé par la région Pays de la Loire, piloté par la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, en partenariat avec les chambres d’agriculture 44 et 49, l’ATV 49, et la Cab.

https://pays-de-la-loire.chambres-agriculture.fr/innovation-rd/agriculture-biologique/recherche-developpement/viticulture-et-oenologie/reduire-les-doses-de-cuivre-par-lemploi-dextraits-vegetaux-en-viticulture-biologique-projet-mildiou/

(2) 18 hectares de vigne en appellation Alsace, 6 ha de fruitiers en IGP kirsch et quetsche d’Alsace.

(3) Plateforme d’évaluation des performances de systèmes viticoles innovants.

 

 [Article paru dans Biofil 117 (mai-juin 2018)]

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Savoir de quoi l’on parle

Un extrait végétal est une solution obtenue par immersion d’une plante dans un solvant (eau, alcool, huile) afin que le végétal libère les principes actifs qu’il contient : des éléments minéraux et des molécules complexes. Il est important de dissocier les préparations à la ferme, et les produits formulés, souvent du commerce, issus d’un procédé d’extraction complexe.

 

Préparations à la ferme

Tisane/infusion : les plantes mises dans l’eau froide sont chauffées. Le feu est coupé au frémissement et les plantes infusent jusqu’au refroidissement.

Décoction : les plantes sont mises à macérer dans l’eau froide 24 h, puis chauffées. Le frémissement est maintenu entre 20 et 40 minutes selon les plantes.

Extraits fermentés : les plantes sont mises à fermenter pendant plusieurs jours dans l’eau froide.

Teinture mère (ou extrait alcoolique) : les plantes sont mises dans de l’alcool pendant une quinzaine de jours.

Macération (ou extrait à l’eau froide) : les plantes sont mises à macérer dans l’eau pendant 24 h environ.

 

Les produits formulés

L’extraction des principes actifs nécessite des procédés complexes. Les produits sont composés d’une concentration de quelques molécules sélectionnées avec des co-formulants et des adjuvants. On trouve dans cette catégorie les huiles essentielles, mais aussi des intrants comme le NeemAzal, issu de l’huile de Neem, ou le Pyrévert, qui contient une concentration de six molécules issues du chrysanthème.

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Commencer tôt les traitements

Autre point clé, pour Yves Dietrich : commencer les traitements très tôt, au stade 5-6 feuilles, en passant tous les 4 rangs au départ, (puis tous les 2 rangs), avec une micro-dose de 40 g de Cu/ha. « La pousse de la feuille sert ensuite de déclencheur pour faire les traitements suivants afin d’empêcher la maladie de se développer sur la partie qui n’est plus protégée. Ça peut être alors un traitement tous les 15 jours si la pousse est lente et le climat sec. Ou à l’inverse, deux traitements dans la semaine, en cas de forte pression, comme en 2016. » Le vigneron joue aussi sur les buses : au départ, seulement les deux buses du bas sont ouvertes, suivies des autres peu à peu avec la montée de la végétation. « Et en fin de saison, on utilise moins celles de la base et plus celles du haut. L’inconvénient, c’est sûr, est le nombre de passages. »

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Pour en savoir plus

Fiches à télécharger sur le site internet de la chambre régionale d’agriculture des Pays de la Loire :
  • Fiche n° 122 : « Modes opératoires des extraits végétaux en viticulture biologique »
  • Fiche n° 137 : « Les extraits végétaux en viticulture biologique »

Contact : Julie Grignion Chambre d’agriculture des Pays de la Loire.

http://www.pays-de-la-loire.chambres-agriculture.fr/innovation-rd/agriculture-biologique/recherche-developpement/viticulture-et-oenologie/

 

Cahiers techniques Tech&Bio 2019 - Utilisation des extraits végétaux en viticulture biologique, notamment contre le mildiou.

https://chambres-agriculture.fr/publications/toutes-les-publications/la-publication-en-detail/actualites/cahiers-techniques-techbio-2019/