En Gironde et Maine-et-Loire : trouver les techniques adaptées pour gérer l'herbe

TÉMOIGNAGES

 

Pour les viticulteurs Emmanuel Chety (Gironde) et Patrick Thomas (Maine-et-Loire), l’enherbement représente des enjeux distincts. Chacun cherche et adapte sa stratégie.


Emmanuel Chety

 

EMMANUEL CHETY, EN GIRONDE
Emmanuel Chety est responsable technique du vignoble Anthonic, de 25 hectares en production, à Moulis en Médoc, en Gironde. Après trois ans de conversion démarrée en 2016, la vendange 2019 produira les premiers vins bio du domaine. « Depuis 10 ans, le vignoble était enherbé sur tous les inter-rangs, explique Emmanuel Chety. L’objectif est d’avoir les sols couverts toute la saison. Mais nous remarquions que le sol commençait à se fermer, que nous avions des espèces moins intéressantes et avec peu de diversité. » Depuis 2017, des couverts sont semés à l’automne après les vendanges un rang sur deux (en alternant chaque année) avec un mélange de céréales, légumineuses et crucifères. En saison, les couverts sont roulés pour faire un mulch d’herbe, avec un rouleau faca. « Si le couvert a mal levé, nous le tondons ». Sur d’autres parcelles, le mélange allemand Wolff est utilisé. Composé de 15 espèces différentes, dont les fleurs fleurissent à différentes périodes de l’année, il est laissé en place pendant 3-4 ans.

Vers moins de passages
Aujourd’hui le travail sous le rang est réalisé avec divers outils : décavaillonneuse – souvent en début de saison –, lames interceps, disques émotteurs, disques crénelés orientables, bineuses à doigts… « Ce sont des outils complémentaires que nous utilisons selon la salissure du sol, l’état du sol, s’il est sec ou tassé, la météo… Après le passage de la décavaillonneuse, notre objectif est de travailler sur plantules. Pour réussir à gérer l’herbe, nous préférons qu’elle ne dépasse pas 5 cm. L’idée est de souffler la terre. Avec la pluie, la terre se rappuie, puis lorsqu’elle sèche, nous la soufflons de nouveau. » Pour Emmanuel Chety, le souci lié à l’herbe sous le rang est principalement la gêne que cela peut provoquer pour les traitements. La zone fructifère étant assez basse à 40-50 cm du sol. « Enlever l’herbe facilite aussi les vendanges et prévient le surplus d’humidité, propice aux maladies. »

 

Des couverts sous le rang 

Emmanuel Chety admet passer de nombreuses fois en saison et souhaite diminuer ces interventions. « Outre la consommation de gasoil, l’impact sur la vie du sol, l’objectif aussi est d’éviter le maximum de casse sur les ceps. » Pour cela, en 2018, le domaine s’implique dans le projet Essor (1). Le désherbage mécanique du rang est comparé à deux modalités de semis d’espèces sur le rang (15 espèces, principalement locales, peu montantes) sur 0,5 hectare : la première par hydroseeding – pulvérisation d’un mélange d’eau, de pâte de cellulose et de semences – la seconde par un semoir mécanique de Vitimeca. Si besoin, le couvert sera entretenu par de la tonte interceps. « Au maximum une à deux fois par an. » « Nous évaluerons quelle technique fonctionne le mieux, si les espèces lèvent bien, si le couvert ne monte pas trop dans la zone fructifère. »
 

Perfectionner les techniques 

Pour le semis avec le semoir Vitimeca, le sol sous le rang doit être travaillé, sans herbe, avec une terre meuble. Un outil brasse le cavaillon et une trémie avec diffuseur disperse les graines sur une largeur de 60 cm. Les premiers semis ont été réalisés en septembre 2019. « J’ai l’impression que le procédé doit encore être amélioré. Il me semble qu’il y a une zone morte autour des pieds où l’outil ne passe pas et où les graines risquent de moins bien s’implanter. » L’hydroseeding semble plus facile, mais nécessite de payer une prestation de service. Et le procédé est très gourmand en eau : pour 0,5 ha, 6 000 litres ont été utilisés.

 

En test avec Agrobio Périgord 

Accompagné par Agrobio Périgord, Emmanuel Chety tente aussi d’autres mélanges sous le rang, cette fois semés à la main. Les essais sont réalisés sur 5 rangs. Des mélanges commerciaux (Dyonisol, Ferticoover) ou des mélanges faits par l’association à base de trèfles blancs nains, minette, lotier corniculé, trèfle souterrain, trèfle porte-fraise. « S’il faut faucher on le fera, mais on espère ne pas avoir à intervenir. Pour toutes les expérimentations nous allons réaliser des suivis techniques pendant quatre ans : rendement, poids des bois de taille, analyses de sols, impact des couverts sur la présence de maladies ». Résultats à suivre de près… 

 

Patrick Thomas, en Maine-et-Loire laisse depuis de nombreuses années,
un rang et un inter-rang sur quatre totalement enherbés.


PATRICK THOMAS, À DOUÉ EN ANJOU 
 

Patrick Thomas vient de transmettre ses 12 hectares de vignoble en appellation Anjou Village et Coteaux du Layon. Depuis de nombreuses années, un rang et un inter-rang sur quatre sont laissés en enherbement spontané pendant quatre ans. « Nous avions observé la présence de cochylis dans les vignes, mais nous ne notions jamais de pontes, explique le viticulteur. Plusieurs études bibliographiques nous affirmaient qu’en effet, les insectes ne pondent pas aux endroits où ils savent que leurs œufs vont se faire manger, car ils ont détecté la présence de prédateurs. » Ainsi, pour favoriser au maximum la biodiversité et les auxiliaires, le vigneron décide de laisser régulièrement de l’herbe dans les vignes. « Depuis 1998, je n’ai jamais utilisé d’insecticideMais l’important, c’est de favoriser un ensemble de prédateurs, sans en privilégier un au détriment des autres, sinon, la régulation n’est plus efficace. »
 

Attention aux arbustes 

Le rang et l’inter-rang enherbés sont juste fauchés une fois par an avant les vendanges. « Ainsi, un quart du vignoble ne demande qu’un seul passage à l’année pour la gestion de l’herbe, c’est un gain de temps et d’énergie. » La fauche se réalise avec un gyrobroyeur, passant au plus près des pieds. « En fonction de la pousse de l’herbe, nous laissons la bande d’herbe restant ou nous utilisons une débroussailleuse pour finir de tondre sous le rang. »
 

Le gros inconvénient de la technique est l’apparition d’arbustes, ayant, en quatre ans, assez de temps pour se développer : pruneliers, chênes… Et ce, parfois au ras des souches ou des piquets. « Nous devons alors souvent les arracher, soit avec un tracteur et une chaîne ou avec une mini-pelle, admet le viticulteur. Mais c’est un chantier pouvant se réaliser fin août début septembre, lorsque l’on est plus disponible. »
 

Labour lent 

Après quatre ans d’enherbement, le rang et l’inter-rang sont labourés par une charrue vigneronne après les vendanges. « Mais je préconise un labour lent, levant la terre et la reposant droite, sans réellement la retourner. » Au printemps, un autre passage de la charrue ramène la terre vers le milieu de l’inter-rang. Un premier nivelage, avec un cultivateur à dents ou des disques est réalisé suite à cela. Ensuite la décavaillonneuse dégage l’herbe entre les ceps et un second nivelage, souvent avec un outil type Actisol, finit le travail. Pour le vigneron, la concurrence hydrique n’est pas ce qu’il appréhende le plus. « Si les racines de la vigne sont bien descendues en profondeur, il n’y a pas de raison qu’elles soient en concurrence avec des racines superficielles des espèces de l’enherbement spontané. » En revanche, pour Patrick Thomas, l’herbe peut laisser le sol s’asphyxier si un gros réseau de racines se forme. « Il faudrait essayer, sur les vignes productives, d’enherber un rang sur deux. Et tenter de casser l’enherbement en ne passant que des dents ou des disques droits, l’été. Et ce, pour sécher l’herbe, tuer ses racines et créer des courants d’air dans le sol. » Pour les autres rangs, dès que l’herbe se manifeste au printemps, la décavaillonneuse travaille le rang. Puis en fonction de la météo et de la pousse de l’herbe, le viticulteur réalise un léger passage d’interceps, à dents ou à disques en alternance. Et sur l’inter-rang, covercrop ou outil type Actisol passent 2 à 3 fois dans la saison. L’arrivée de moutons pâturant quelques semaines l’hiver participe aussi à laisser plus d’enherbement dans les vignes.
 

Quel impact de l’herbe sur la vigne ? 

Patrick Thomas observe des entrecœurs et des feuilles plus petits sur les vignes enherbées. « Nous avons évalué à l’œil qu’il y avait environ une grappe en moins par cep sur les vignes enherbées. Mais une fois que l’herbe a été enfouie, les rendements sont plus grands sur ces rangs. » Autre point souligné par le viticulteur : une différence de maturité entre les rangs. « Comme nous n’avons pas de grandes surfaces et que nous vendangeons à la main en passant en deux fois, ce n’est pas un problème. Mais cela peut être handicapant pour d’autres systèmes. » Le gel cause aussi plus de dégâts sur les rangs enherbés… « Mais sans pouvoir l’expliquer, nous observons que s’il y a une repousse après un gel, la reprise est meilleure sur les rangs enherbés. »

 

Frédérique Rose

  

(1) partenaires du projet : 12 structures viticoles, la cellule de transfert Vitinnov, la chambre d’agriculture de la Gironde, Safe et Vitivista.