Comprendre le fonctionnement des extraits végétaux
Les extraits végétaux sont très utilisés en viticulture bio et biodynamique contre mildiou notamment. Mais pour mieux comprendre leur mode d’action des recherches supplémentaires sont nécessaires.
« Plusieurs projets de recherches ont eu lieu ou sont en cours sur la question. Là où nous avons des manques, c’est dans la connaissance des expériences réalisées directement par les vignerons », indique Marc Chovelon du Grab d’Avignon, lors d’une conférence au Sival en janvier 2018. « Or la demande pour se former sur ces pratiques est croissante », rajoute Anne Duval-Chaboussou, ingénieur au CTIFL, anciennement chargé de mission viticulture biologique à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.
Exemple de cuve et tisanière nécessaires à l’élaboration d’extraits végétaux. (© Chambre d'agriculture Pays de la Loire)
Non toxiques, sans créer de résistances
Parmi les nombreux intérêts des extraits végétaux, on note une forte biodégradabilité et l’absence de résistance possible, car ils sont composés de nombreuses molécules. « Nous ne savons pas encore définir le nombre de molécules qu’il y a dans un extrait d’ortie, tellement il est important, indique Anne Duval-Chaboussou. C’est impossible pour un ravageur d’acquérir, de développer des résistances à ce produit. » L’ingénieur rajoute que même en ciblant quelques molécules, comme le pyrévert, constitué de six molécules d’extrait de chrysanthèmes, les résistances n’apparaissent pas. « Et dans les extraits végétaux, il y a un totum de molécules, bien plus nombreuses. »
Les préparations à la ferme ont une efficacité variable par rapport à des produits formulés, due à l’origine des plantes, au mode opératoire, au mode d’application. « Mais leur toxicité est faible à nulle. Et lorsque les viticulteurs élaborent eux-mêmes leurs préparations, ils gagnent en autonomie, vis-à-vis de leurs intrants, de leur prise de décision. Ils se réapproprient un savoir botanique et prennent en compte un écosystème plus large. »
Quel mode d’action ?
En revanche, il est encore compliqué de savoir si un extrait végétal a une action fongistatique, fongicide, de stimulation des défenses… « Nous savons néanmoins que dans les huiles essentielles d’agrumes, notamment orange douce et pépins de pamplemousse, il y a beaucoup de terpènes. Ceux-ci ont un effet fongistatique qui empêche le développement du mildiou, indique Anne Duval-Chaboussou. Il doit sûrement y avoir aussi un effet antisporulant, empêchant la germination des spores de mildiou présentes sur les feuilles. De plus, les terpènes sont des éliciteurs – stimulateur des défenses naturelles – de la vigne. »
De nombreuses interrogations sont encore en suspens : quelle est la durée d’action des extraits végétaux ? La dilution et l’heure de pulvérisation ont-elles un effet sur leur efficacité ? Combien de temps peuvent-ils se conserver ? Quelle synergie existe-t-il entre le cuivre et les extraits végétaux ? Jusqu’où peut-on baisser les doses de cuivre grâce à ces plantes ?
Privilégier l’extrait végétal à la molécule
Marc Chovelon du Grab d’Avignon, rappelle une expérience réalisée en 2003 avec l’acide salicylique, molécule naturellement synthétisée par certains végétaux (comme la reine-des-prés ou le saule). L’expérience s’est déroulée sur plantes en pots, avec inoculation artificielle de mildiou ; l’application d’acide salicylique a été effectuée quatre jours avant l’inoculation. Le composé, d’origine synthétique, a été utilisé à différentes concentrations, en comparaison avec une tisane de saule (salix alba), plus ou moins diluée. L’évolution du mildiou sur feuilles est notée. « Nous observons que l’efficacité est la même entre l’acide salicylique synthétique, à une concentration de 7 mmol/L et la tisane mère concentrée à 0,14 µmol/L. L’extrait végétal, sûrement grâce à la richesse de sa composition, donne une efficacité globale plus intéressante, à une concentration très inférieure ! Il y a donc un intérêt à travailler l’extrait végétal plus que de chercher la molécule uniquement. » D’après Anne Duval-Chaboussou, des chimistes parlent de l’effet « quenching » : une stimulation des molécules les unes avec les autres. « Ce n’est pas seulement une molécule qui agit, mais bien un ensemble. Et si l’une d’entre elles n’est pas là, l’ensemble des molécules ne peut pas, par exemple, passer d’un tissu à l’autre de la plante. »
Frédérique Rose
[Article paru dans Biofil 121 (janvier-février 2019).]
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Nombreuses expérimentations contre mildiou
Marc Chovelon présente des résultats de 2011, sur des plantes en pots, avec de l’écorce de bourdaine et de la racine de rhubarbe.
Des tisanes ont été appliquées avec ou sans doses réduites de cuivre (100 ou 600 g/ha). « L’efficacité de la rhubarbe seule est équivalente à celle du cuivre dose réduite. Et si on rajoute un peu de cuivre à la rhubarbe, l’efficacité n’est pas améliorée. » Pour la bourdaine, lorsqu’elle est utilisée seule, les résultats sont équivalents à une dose de cuivre réduite. Mais en rajoutant du cuivre à la bourdaine, les résultats sont équivalents à la modalité 600 g de cuivre. « La bourdaine semble donc plus efficace que la rhubarbe. Cela reste une piste, car ces essais en pots doivent être revérifiés en plein champ. »
Mitigé en plein champ
Plusieurs expérimentations réalisées en plein champ sont présentées. Les résultats sont divers. En 2012, dans la Drôme, un essai met en avant l’efficacité du fructose associé à 100 g de cuivre : on note jusqu’à 81 % d’efficacité sur feuilles, et 75 % sur grappes à la fin août. « La bourdaine et le saule donnent aussi des résultats intermédiaires, avec des doses réduites de cuivre. » En 2011, un essai de l’Adabio montre qu’un mélange d’absinthe et de cuivre donne les meilleurs résultats, jusqu’à 91 % d’efficacité. Mais en 2012, sur le même essai en condition de forte pression, c’est la bourdaine qui arrive en tête, avec 67 % d’efficacité. « Nous sommes confrontés à ce type de résultats instables. Nous manquons d’indicateurs pour savoir pourquoi un tel produit a marché une année et pas l’autre. »
Essayer le thym à thymol
En 2017, des essais au Grab, sur une parcelle drômoise, ont testé l’huile essentielle de thym à thymol avec du savon noir, ou sur un support inuline, facilement miscible dans l’eau. L’hydrolat, résidu de l’huile essentielle, est aussi testé toujours avec de faibles doses de cuivre à 100 g/ha. « En fréquence, la maladie n’a pas pu être contenue, quelles que soient les modalités. Mais en pourcentage de surface infectée, on remarque des baisses, surtout sur les feuilles. Il y a un effet de l’huile mais pas entièrement satisfaisant. »
L’écorce de bourdaine, une piste à approfondir pour aider dans la lutte contre le mildiou.
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Pour élargir les perspectives…
Anne Duval-Chaboussou s’interroge : « Les vignerons remarquent parfois que des plantes apparaissent sur leurs parcelles, alors qu’elles n’étaient jusque-là jamais présentes. Ces dernières peuvent être connues pour avoir un impact sur le mildiou. Sera-t-il possible, à terme, que la présence seule des plantes, du fait de leurs exsudats racinaires, puisse permettre de réduire les inoculums des pathogènes ? Comme des plantes compagnes des cultures ? »
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Pour en savoir plus
Fiches à télécharger sur le site internet de la chambre régionale d’agriculture des Pays de la Loire :
- Fiche n° 122 : « Modes opératoires des extraits végétaux en viticulture biologique »
- Fiche n° 137 : « Les extraits végétaux en viticulture biologique »
Contact : Julie Grignion Chambre d’agriculture des Pays de la Loire.
Cahiers techniques Tech&Bio 2019 - Utilisation des extraits végétaux en viticulture biologique, notamment contre le mildiou.